Syndicalisme : les raisons de la colère.

Propositions pour un syndicalisme professionnel attirant

Par Guillaume LE FOYER DE COSTIL Premier vice-président de la CNA

Il n'y a plus d'engagement collectif dans notre profession. Cet amer constat d'un avocat, syndicaliste depuis plus de dix années, basé sur l'observation quotidienne d'un univers professionnel en évolution perpétuelle, est fondé sur la comparaison de la courbe démographique de la profession avec celle des adhérents et militants de nos organisations syndicales. Cette évolution est fâcheuse, car elle porte atteinte à l'indépendance de notre profession, dont la représentation officielle est aujourd'hui contestée par le pouvoir politique, elle est aussi révélatrice d'une baisse des valeurs morales, dont celle de l'engagement altruiste, elle est enfin dévastatrice, car elle désarme l'individu avocat, isolé et laissé à la merci d'autres organisations plus efficaces, car à but lucratif : les plus grands cabinets.

L'imposture de la transparence ou les ravages de la feuille de temps.

Croyant bien faire, l'avocat s'est emprisonné lui-même dans le contrôle temporel de son activité ; impensable il y a trente ans, la pratique de la feuille de temps a mécanisé les tâches de l'avocat, même individuel, qui contemple périodiquement la mesure de son activité et la compare, soit à celle, idéale, de l'avocat facturant toutes ses heures, soit, et ce jeu est parfois cruel, à celle de ses associés. La création de logiciels de traitement du temps de l'avocat a littéralement " taylorisé " cette occupation, la plaçant apparemment sous un contrôle à caractère scientifique, (qui n'est qu'un contrôle social classique), sans pourtant que soient pris en compte les moments de rêverie ou de bavardage, qui sont la gymnastique de l'esprit du professionnel surmené.

L'institution de cette méthode de travail, sorte d'auto pointage, qui ravale le cadre d'exercice de l'activité libérale au rang des tâches industrielles du milieu du siècle dernier, est l'une des causes du déclin syndical.

Certes les logiciels de " gestion des temps " qui sont mis à notre disposition par des fournisseurs à l'écoute des plus maniaques d'entre nous, prévoient une rubrique " activités d'intérêt général ", au même titre que le golf ou la fréquentation des congrès ; mais peu d'entre nous, qu'ils soient collaborateurs ou associés de cabinets dits " structurés ", ont réussi à imposer sans contrepartie coûteuse ces activités " altruistes " à leurs compagnons de travail.

Au pays des charges la générosité n'a pas sa place ; au royaume de la CSG on est prié de facturer, pas de bavarder ; les meilleurs d'entre nous sont dès lors découragés, sauf, (et encore pas toujours, il faut que certains " travaillent " !), si leur patron ou leur associé dominant est responsable syndical.

A chaque évocation de mes activités on m'interroge : à quoi sert le syndicalisme ? Qu'est-ce que ça te " rapporte " ? A cette cadence on comprend pourquoi nous sommes de moins en moins nombreux. Au fait, supporterais-je que tous les membres de mon cabinet militent à la CNA ? On comprend aussi que ce ne soit pas toujours les meilleurs qui nous représentent ; d'ailleurs peut-on être efficace et altruiste ?

Les ordres à contre emploi ou la concurrence des " institutions officielles "

Beaucoup d'avocats militant dans les organisations syndicales (bien que certains trouvent ces mots déplacés, parce qu'ils n'évoquent pas les pratiques habituelles de la classe dirigeante à laquelle ils pensent appartenir) occupent des fonctions " officielles " à divers moments de leur vie (membres des conseils des ordres, bâtonniers, membres ou présidents du conseil national des barreaux, membres des divers conseils d'administration ou de surveillance des caisses de retraite, de prévoyance, d'assurances maladies et des " organismes techniques " de la profession).

Elus à ces fonctions après des campagnes électorales au cours desquelles il faut bien, pour se distinguer de ses concurrents, promettre la lune, l'ancien syndicaliste ne perd généralement pas ses réflexes, et, en plus des fonctions officielles qu'il occupe, croit devoir continuer son combat ; et qui l'en blâmerait ? Mais il y a un revers à cette médaille.

Pourquoi, en effet, cotiser volontairement à un syndicat professionnel si la fonction qui est naturellement la sienne est efficacement exercée par une autorité publique dotée de forts moyens grâce à des cotisations obligatoires ?

Pourquoi laisser à ceux qu'ont croit être des amateurs bénévoles le soin de ce qui sera souvent mieux fait par des professionnels assistés de collaborateurs de haut niveau?

D'où la confusion des genres, dont naît instantanément celle des sentiments, et l'on se dit : mais ces autorités publiques (les ordres pour la discipline et l'admission au tableau, le CNB pour l'harmonisation de la déontologie), si elle ne se bornent pas à appliquer la loi ou à l'édicter, ont-elles une autorité légitime ?

Peut-on militer et légiférer ? Peut-on juger et réconforter ? Carpe ou lapin ?

N'est-elle pas là la véritable place des syndicats ? Les conseils juridiques (nos confrères aujourd'hui) l'avaient bien compris : c'étaient souvent les mêmes professionnels dévoués qui siégeaient simultanément à l'ANCJ et à la Commission ; mais selon leurs activités, ils avaient la décence de changer de casquettes. Pourquoi n'avons-nous pas mieux suivi leur exemple ?

Professionnaliser le syndicalisme professionnel des avocats

La situation ci-dessus décrite ne se modifiera pas ; n'espérons pas, malgré les promesses des candidats au bâtonnat des grands barreaux, qu'ils parviendront à " recentrer l'ordre sur ses missions essentielles ". le pli est pris ; les structures sont en place et ce n'est pas en cette période électorale qu'il faut espérer obtenir des candidats qu'ils renoncent à promettre de faire tout leur possible, et même qu'une fois élus ils y parviennent. Et d'ailleurs pourquoi se priver de toutes les bonnes volontés : les institutions ont perdu une partie de leur autorité, laissons les au moins nous défendre.

Les syndicats accompliront toujours leur mission essentielle : défendre les intérêts des avocats en général et de leurs membres en particulier. Mais cette mission, on l'a vu, est remplie par bien d'autres corps constitués.

Alors, en plus de leur fonction revendicative première auprès des pouvoirs publics et institutions, que faire des syndicats ? D'abord des lieux de formation ; les organisations syndicales sont les pépinières de nos institutions ; les électeurs l'ont bien compris qui privilégient les candidats " formés " aux amateurs ambitieux. Les questions évoquées dans le cadre du travail syndical sont le plus souvent professionnelles ; les institutions qui nous gouvernent les traitent aussi ; lorsqu'elles sont de leur compétence directe (admission dans la profession, déontologie, discipline, structures d'exercice) il vaut mieux qu'elles soient confiées à des membres compétents.

Le syndicalisme est ensuite un espace de rencontre ouvert à tous ; où voit-on, ailleurs que dans un syndicat, un avocat du barreau de Grasse déjeuner avec un membre de celui de Colmar en compagnie de confrères bretons et parisiens ? Cet aspect est essentiel, d'abord parce qu'il permet la libre confrontation des points de vue et l'échange des expériences, mais aussi parce qu'il constitue finalement le seul attrait réel des syndicats d'avocats. Les matières que nous y traitons sont complexes, austères et parfois rébarbatives ; nous avons besoin d'un public ; l'homme est un animal social ; c'est la raison pour laquelle les fonctions d'organisation des rencontres sont essentielles dans un syndicat d'avocats. Les congrès, colloques, séminaires et réunions diverses doivent être organisées de façon professionnelle et dans des lieux agréables ; la convivialité ne s'improvise pas ; elle nécessite qu'il soit recouru à des professionnels ce qui a un coût, que chacun accepte d'assumer si la contrepartie est à la hauteur ; l'adhérent doit en avoir pour son argent et surtout pour son temps.

Annuler un congrès, une rencontre ou un séminaire parce qu'on s'y est pris trop tard pour l'organiser produit un effet dévastateur ; nos confrères ont des agendas très remplis et n'aiment pas les contretemps qui bouleversent leurs projets agréables, qu'ils couplent parfois avec des obligations professionnelles ; reporter une manifestation parce qu'il n'y a pas assez d'inscrits est très pénalisant pour ceux qui ont prévu de s'y rendre, la confiance de l'adhérent se gagne lentement et se perd très vite.

Enfin les syndicats professionnels doivent aussi être les organes d'information de leurs membres et même de leurs futurs adhérents ; si le support papier est irremplaçable, les moyens modernes de communication sont essentiels : télécopies en nombre, courriers électroniques collectifs, site Internet tenu à jour régulièrement par un webmestre réactif sont les outils minimum du syndicat d'avocats sérieux.

Comme le reste de leurs activités fait double emploi avec celles des ordres et organismes techniques c'est dans ces domaines privilégiés que l'action des syndicats doit se développer ; c'est à ce seul prix qu'ils survivront face à la concurrence des institutions et c'est parce qu'ils sont ouverts à tous les avocats et non seulement à la " nomenklatura " qu'ils sont irremplaçables.

Albi août 2002