SALON DE L'AVOCAT ET DU DROIT DU 5 DECEMBRE 2003

 Discours de Guillaume LE FOYER DE COSTIL Président de la CNA

 

 

Chers Amis,

Il semble que les urnes aient décidé pour moi d'un sort favorable, il m'appartient dès lors de vous remercier.

Mes remerciements iront en premier lieu à mes 37 prédécesseurs, qui ont su donner à la fonction que vous m'avez confiée un lustre et un prestige que j'essaierai de lui conserver.

Je me suis longtemps caché derrière leur carrure puissante et leur détermination ; je suis aujourd'hui seul devant vous, seul devant le monde, enfin pas si seul, puisque que vous êtes avec moi.

Mes remerciements iront ensuite à ceux qui ont accepté de continuer avec moi cette aventure, la plupart d'entre vous en font partie ; je les remercie de l'abnégation, du dévouement, de la disponibilité, de la compétence, de l'intelligence et de l'amitié dont je sais à l'avance qu'ils feront preuve durant les deux ans de mon mandat ; le défi qui m'est lancé est de vous retenir près de moi.

Dans deux ans, je me demanderai : " Qu'as-tu fait de ces talents ? "

Ce soir, je vous propose trois réflexions.

La première a trait à la finalité de notre action syndicale. J'ai eu l'occasion de m'exprimer par écrit sur ce point, il importe que je précise aujourd'hui ma pensée.

La deuxième est relative aux moyens qu'il m'apparaît nécessaire de mettre en œuvre pour que notre action soit efficace.

La troisième enfin consiste à vous proposer un certain nombre de sujets sur lesquels il m'apparaît nécessaire que nous travaillions durant ces deux années ; d'autres s'y ajouteront évidemment en cours de route, seule l'actualité commande.

1 - A quoi sert un syndicat ?

Nos statuts nous le disent clairement, des juges nous l'ont rappelé il n'y a pas si longtemps à l'occasion d'une affaire médiatique : un syndicat est là pour défendre les intérêts de ses membres, passés, présents et futurs c'est à dire les avocats français.

Et même si les libertés nous tiennent à cœur, même si l'ordre moral qu'un gouvernement trop zélé tente d'établir nous pèse chaque jour, nous ne devons jamais oublier que notre existence est attachée à la défense farouche et partiale d'intérêts catégoriels.

Ce moteur de notre action doit être visible, et en permanence, l'intérêt général a d'autres serviteurs.

Et cette caractéristique doit nous distinguer de façon très nette d'autres organismes de notre profession, que chacun reconnaîtra, auxquels chacun d'entre nous a appartenu, appartient ou appartiendra, y emportant, collé à la semelle de ses chaussures, son réflexe syndicaliste.

C'est précisément là que le bât blesse, que la concurrence se fait parfois déloyale et que les difficultés commencent.

Ce n'est pas ici le lieu de dire combien le taux de syndicalisation de notre profession est bas et combien il faut le déplorer.

J'ai eu maintes fois l'occasion de le dire, les causes de cette désaffection sont trop évidentes : elles résident dans une confusion des genres qui semble très difficile à éviter .

Lorsqu'une institution de régulation aussi prestigieuse que l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris intervient auprès du Gouvernement pour obtenir que le statut des Avocats soit amélioré, comment l'en blâmer ?

Lorsque le Conseil National des Barreaux, dans une assemblée générale en forme de grand-messe, présente au Gouvernement les revendications légitimes de la profession, comment protester ?

Mais alors que nous reste-t-il à faire ? A quoi servons-nous ?

J'ai peut-être la réponse. Les syndicats d'avocats sont d'abord des voies d'accès à la chose publique.

Elles permettent à chacun des membres de chacun des Barreaux d'y goûter et parfois d'apprécier cette démarche altruiste.

Elles nous donnent le goût du désintéressement, qui est après tout l'un de nos principes essentiels,

Cependant il nous faut y être initiés : c'est pourquoi chacun d'entre nous ici présents doit être un initiateur.

Je me rappelle encore l'appel téléphonique de Jean-Michel BRAUNSCHWEIG en 1990, me demandant de me présenter à une mystérieuse élection d'un mystérieux organisme appelé " Comité Directeur " d'une institution étrange appelée alors CSA, dont j'ignorais jusqu'à l'existence.

Je n'ai toujours pas compris pourquoi j'ai accepté, mais je ne le regrette pas ; ce jour là, ma vie a changé.

Les syndicats sont aussi des lieux de rencontre : ceux où les Bâtonniers de la Manche ou du Cantal peuvent déjeuner sur la Canebière avec des Confrères de Mulhouse ;

Qui d'autre qu'un syndicat pouvait oser, Cher Jean COTESSAT, organiser une série de colloques sur les relations du vin et du droit ?

Mais ce n'est pas tout : les Ordres et le Conseil National des Barreaux ne nous ont pas tout pris : ils nous ont laissé notre âme, notre dynamisme est intact, notre puissance de travail reste complète, le Gouvernement continue de nous parler et de nous déléguer ses Ministres.

Après tout, le scrutin de liste de notre Conseil National, les investitures syndicales aux élections ordinales dans les grands Barreaux les élections à la CNBF ou dans les organismes dits " techniques " sont autant de défis dans lesquels s'affirme notre identité et par laquelle se justifie notre existence.

Lorsque le Conseil National des Barreaux annonce fièrement qu'il s'est prononcé pour la fusion des Conseils en propriété industrielle et des Avocats, voilà une occasion de protester ! Lorsque l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris envisage favorablement l'intégration des juristes d'entreprise dans notre profession, quelle aubaine pour notre force de contestation !

La CNA est le syndicat de tous les Avocats, il suffit de s'y inscrire, de payer sa cotisation, et de commencer à réfléchir avec ses commissions ;

Il n'y a pas de grades, il n'y a pas de procédure d'admission, pour y entrer il suffit de justifier d'une vertu : l'enthousiasme.

Mais tous ces vœux ne doivent pas rester l'expression angélique de ma pensée.

Il ne suffit pas de vouloir, il faut pouvoir.

Et pouvoir c'est évidemment disposer de moyens.

2 - Les moyens de l'action syndicale :

Etrange alchimie que celle du succès syndical.

Pour réussir, il faut malheureusement de l'argent ; j'ai été votre trésorier durant deux ans ; je puis vous assurer qu'il en faut beaucoup; ce n'est qu'avec cet argent que l'on peut se procurer : du personnel compétent et dévoué, des bureaux, de l'informatique, de la mécanographie, des frais d'envoi de routage et de déplacement et beaucoup d'autres choses encore, tout cela coûte cher.

Pour avoir de l'argent, il faut des cotisations, des annonceurs, des subventions ; mais pour avoir des cotisations, des annonceurs ou des subventions, il faut qu'il y ait beaucoup d'adhérents ou au moins beaucoup de sympathisants, beaucoup de visiteurs à ce Salon et de participants à nos congrès, beaucoup de lecteurs pour le Barreau de France, beaucoup de consultations de notre site Internet, c'est l'histoire de l'œuf et de la poule.

Il semble que la poule existe encore, garderons-nous longtemps l'œuf ?

C'est évidemment mon principal projet. La poule, ce sont les membres de la CNA, en tout cas les plus actifs d'entre eux ; c'est à dire tous ceux que j'ai en face de moi ce soir.

Mon projet est de vous garder près de moi, de continuer à travailler avec vous pour que cette masse critique en deçà de laquelle un syndicat disparaît, se développe au point de transformer notre mouvement d'élite en un mouvement de masse.

La première des précautions que je dois prendre est de préserver le plus précieux de vos biens : votre temps.

C'est pourquoi je m'engage à ne vous déranger, à ne vous faire venir, à ne vous faire travailler que dans des conditions d'organisation très rigoureuses, vous permettant de prévoir, de gérer et d'utiliser au mieux les disponibilités que vous voulez bien mettre à la disposition de la collectivité.

Je serai exact aux rendez-vous que je vous fixerai, (je vous demande de l'être aussi) les réunions que nous tiendrons seront courtes mais denses, elles seront prévues très à l'avance pour vous permettre d'organiser vos déplacements, elles seront coordonnées avec celles des autres organismes de la profession, elles ne seront pas annulées au dernier moment et ne dureront pas plus que le temps prévu.

Ce temps, que vous voulez bien nous donner, je vous demanderai de l'utiliser avec énergie sur nos projets, qui seront clairement identifiés, et sur lesquels la réflexion se fera de façon extrêmement démocratique, collective et pluridisciplinaire, pour que la minorité ne s'incline devant la majorité qu'avec le sentiment d'avoir fait valoir tous ses arguments et tous ses moyens.

Pour travailler en commun, il faut communiquer, cette communication n'est pas nécessairement directe et verbale.

Internet existe, je l'utilise de façon fréquente et même parfois abusive, je souhaite que nous puissions ensemble travailler avec ce moyen, que ce soit par le truchement de notre nouveau site, auquel sera évidemment intégrée l'ANASED qui fait défaut à la version actuelle, ou par e-mails. je crois que la plupart d'entre vous se sont mis à ce moyen de transmission un peu barbare , mais si commode et si économique que nous ne pourrons bientôt plus nous en passer. Je demanderai à notre secrétariat d'identifier ceux d'entre vous qui ne voudront pas utiliser ce moyen qui sera le mode de communication par défaut.

Je vous communiquerai dans les prochains jours, n'ayant pu l'établir définitivement aujourd'hui compte tenu de certaines incertitudes électorales, la composition de notre bureau que j'espère vous approuverez lors de notre prochain Comité Directeur.

L'organigramme sera très simple, et conforme à nos statuts ; il ne sert à rien de créer des commissions et des cellules de réflexion si celles-ci ne fonctionnent pas véritablement.

Enfin, je me suis assuré, avant d'accepter ces fonctions de ce que les collaborations précieuses des deux salariées de notre syndicat continueraient à être à notre disposition durant mon mandat ; j'ai obtenu des assurances à ce sujet et je remercie vivement nos collaboratrices.

Jacqueline PATOU est la mémoire de la CNA ; je vais lui demander d'écrire les siennes pour tout savoir, mais je ne sais pas si elle en aura le temps. Mais ces moyens devront avoir une fin ; je vous la propose sachant très bien que je ne pourrai venir à bout de l'ensemble des questions qui nous préoccupent.

Au moins, comme mes prédécesseurs et notamment Jean de CESSEAU à qui je succède et dont je salue l'action enthousiaste et multiforme, j'aurais apporté ma pierre à l'édifice.

3 - Les projets de la CNA :

Ils sont nombreux.

Nous avons beaucoup de questions sur lesquelles, que nous soyons ou non consultés, nous devons donner notre avis ; il y a aussi celles auxquelles personne ne pense et qui sont pourtant la solution de certains de nos problèmes ; notre force de proposition doit donner le plein de sa mesure.

Les libertés

Défenseurs des libertés, nous devons continuer de veiller, spécialement tant que le projet de loi d'adaptation de la justice à la nouvelle criminalité n'est pas définitivement adopté, à ce que l'autorité publique qui s'appuie aujourd'hui sur une opinion qui pense trop à la sécurité et pas assez à sa liberté n'aille pas au delà des limites acceptables.

Il règne actuellement dans notre société un climat détestable ; les avocats sont les premiers à s'en rendre compte parce qu'ils fréquentent les Tribunaux, parce qu'ils rencontrent les policiers, parce qu'ils visitent les prisons, à quel point le sentiment de légitimité que ressentent aujourd'hui les tenants de l'autorité publique peut, entre de mauvaises mains, conduire à l'oppression.

Devons-nous vraiment plaider coupables ? L'esprit français peut-il s'accommoder d'une recette si américaine ?

Faut-il vraiment que l'enquête préliminaire nous soit interdite ?

Comment convaincre les magistrats de recourir à d'autres sanctions que la prison ?

Faut-il que la procédure pénale soit réformée tous les deux ans ?

Quand apprendrons-nous à mettre des coupables en liberté lorsque la procédure pénale n'a pas été respectée ? Autant de défis qu'il nous faut continuer de relever avec énergie.

La défense des libertés ne doit pas se limiter à nos frontières ; le Bâtonnier Jean-Michel PAULUS est le plus actif d'entre nous sur ce terrain, j'aurais aimé qu'il me succède mais notre ami alsacien préfère les grands espaces africains.

La cellule " droit de l'homme " de la CNA continuera comme par le passé son action offensive et transportera avec énergie au delà des mers le pouvoir de conviction de ses membres.

Les avocats

Je l'ai dit en commençant, nous devons principalement penser aux Avocats car nous sommes un syndicat d'Avocats.

La défense de nos intérêts passe souvent par celui de notre périmètre. Celui-ci a été menacé par les experts-comptables à la suite d'une déclaration intempestive de notre Premier Ministre, il semble que les choses soient rentrées dans l'ordre grâce à l'action vigilante de nos organisations et notamment la Présidente de l'UNAPL ; mais il nous faut rester vigilants.

D'autres fusions nous menacent, d'autres intégrations de corps étrangers extérieurs se profilent à l'horizon.

Nous débattrons évidemment ensemble de la réponse qu'il convient d'apporter à ces propositions ; personnellement ma décision sera de m'y opposer pour autant que vous m'en donniez mandat.

Il ne s'agit pas de faire preuve d'un immobilisme rétrograde ni d'une opposition frileuse à ce que certains appellent à tort le progrès, mais seulement de conserver son âme à notre profession qui recouvre déjà de trop nombreux métiers.

Nous ne pouvons être les salariés que de nous-mêmes, ce qui exclut l'intégration des juristes d'entreprise.

Nous ne pouvons tous être à la fois ingénieurs et avocats, ce qui exclut me semble-t-il la création d'une catégorie inégalitaire de confrères.

Il n'y a pas de grade sur la robe, il n'y en aura jamais.

Nous devons aussi veiller à notre statut social, nos charges nous écrasent, et même si l'argent que nous versent nos clients en rémunération de nos travaux ne nous appartient qu'en partie, le plus souvent ceux qui nous le verse l'ignorent.

Là aussi nous serons vigilants.

Un jour nous partirons en retraite, je nous le souhaite à tous.

Mais il faut que cette retraite soit celle d'hommes riches et bien portants car il vaut mieux l'être que pauvres et malades.

Les récentes réformes nous ont enfin apporté une amélioration de notre situation dans ce domaine ; mais celle-ci a une contrepartie pour l'instant une inconnue ; un texte complémentaire nous menace ; il importe que celui-ci soit négocié par toutes les composantes de la profession et non seulement par les seuls représentants de la Caisse, qui n'est que l'objet de l'accord à intervenir, la CNA sera présente à la table de négociation et elle aura beaucoup de choses à dire.

Les autres projets

Mon propos serait trop long s'il devait comprendre l'énumération de toutes les causes pour lesquelles je veux vous emmener au combat.

Je n'ai pas le temps ce soit de vous parler de la déontologie, de la formation, de l'évolution de nos structures professionnelles, de la réforme du divorce, du statut du collaborateur libéral, de la certification qualité, de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit, de l'admission des avocats étrangers, des mentions de spécialisation, de la formation continue, de la réforme des Tribunaux de Commerce, de la carte judiciaire, de la réforme des procédures collectives, spécialement de celles qui pourraient concerner le professionnel libéral, bien que ce sujet soit particulièrement important et urgent et que notre syndicat, beaucoup plus que les autres, ait une opinion à émettre à ce propos.

Nous avons deux ans devant nous, je ne sais si j'arriverai à faire aussi bien que mes prédécesseurs et notamment Jean de CESSEAU à qui je succède.

Mais je vous demande de m'aider, enfin de vous aider vous-mêmes à travers moi, afin que, et c'est le défi que je me lance, le nombre des adhérents de la CNA ait doublé au début du mois de décembre 2005.

Je sais qu'ensemble nous y parviendrons.