L’Europe et la brevetabilité du vivant

Présentation de la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques

par Guillaume le FOYER de COSTIL avocat

(JUILLET 1999)

 

En marge de la discussion planétaire sur le commerce des organismes génétiquement modifiés, il est bon de rappeler que l’Union Européenne n’a pas attendu l’actualité pour énoncer les principes destinés à guider les Etats membres dans l’élaboration et la mise à jour de leurs législations dans le domaine de la brevetabilité des organismes vivants ; c’est la mission que s’est assignée la Directive n°98/44/CE du 6 juillet 1998, qui devra être transposée dans les législations nationales au plus tard le 30 juillet 2000.

Les législations des états divergent encore, entre elles et dans leurs rapports avec la jurisprudence de l’Office Européen des Brevets (OEB), sur les organismes vivants qu’il est possible de protéger par la voie du brevet, sur les limites éthiques à ne pas franchir et sur leur mode de protection, tandis que le secteur concerné devient l’un des plus dynamiques, engloutissant en Europe l’essentiel des investissements de recherche et de développement.

Une première proposition de directive a été rejetée par le parlement Européen en 1995 ; le nouveau texte adopté l’année dernière est le résultat d’un compromis et la conséquence de l’évolution des esprits ; il complétera la directive 90-220 sur le commerce des organismes génétiquement modifiés, elle-même actuellement en cours de rénovation.

Le principe premier de la directive 98/44/CE est de permettre la protection par le brevet de la matière biologique dotée de caractéristiques déterminées (nouveauté, activité inventive et application industrielle) et de " toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés ".

La protection s’étend à l’information génétique ainsi qu’aux produits dans lesquels elle est incorporée et exerce sa fonction.

C’est l’affirmation de principe qu’il est possible de protéger par le brevet non seulement les êtres vivants créés par sélection et certaines de leurs parties, (la matière biologique), mais aussi celles résultant de l’intervention de l’homme par des procédés microbiologiques (comme le génie génétique)

La directive procède ensuite à un certain nombre d’exclusions, relatives à des situations inenvisageables il y a seulement vingt ans, mais aujourd’hui techniquement concevables:

Impossible bien sûr de breveter le corps humain ; impossible aussi de breveter les séquences génétiques humaines.

Impossible de breveter des procédés ou des produits dont l’exploitation serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (clonage d’êtres humains, modification de l’identité génétique de l’être humain, utilisation industrielle ou commerciale d’embryons humains, modification de l’identité génétique d’animaux provoquant des souffrances inutiles pour la médecine ou toutes autres situations à définir par les juges nationaux).

Impossible, conformément au droit classique des brevets, de protéger une découverte sans application industrielle, comme une séquence d’ADN sans indication de fonction, ou sans que soit indiquée la fonction de la protéine qu’elle produit.

Impossible de breveter une variété végétale autrement que par le biais des législations spéciales et restrictives relatives aux " obtentions végétales ".

A ces interdictions s’ajoutent des cas de " licences obligatoires ", hypothèses où il est impossible au breveté de refuser de concéder une licence ou de s’opposer à l’exploitation de l’invention par des tiers :

Le titulaire d’un brevet portant sur le matériel génétique de reproduction d’animaux, ne peut empêcher l’usage agricole des animaux obtenus, ou la reproduction de la matière biologique protégée " lorsque la reproduction ou la multiplication résulte nécessairement de l’utilisation pour laquelle la matière biologique a été mise sur le marché " (c’est le cas des semences agricoles qui ne peuvent être utilisées que pour une récolte laquelle ne peut être à nouveau semée).

Le titulaire d’un titre couvrant une obtention végétale est obligé de concéder (moyennant une redevance appropriée) une licence au titulaire d’un brevet d’invention biotechnologique supporté par cette variété (cette obligation est d’ailleurs réciproque).

Enfin le texte prévoit un mode de preuve nouveau, s’agissant du domaine des brevets : la possibilité, dans certains cas et notamment lorsque la description textuelle de l’invention est impossible, de déposer la matière biologique dans une " Institution nationale reconnue ".

Il reste maintenant aux états à transposer le texte, aux institutions qui délivrent les brevets à s’en inspirer dans leurs décisions et aux cours et tribunaux à en tenir compte dans leur jurisprudence.

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